- ÉCOLOGIQUE (MOUVEMENT)
- ÉCOLOGIQUE (MOUVEMENT)Au cours des années soixante-dix, le mouvement écologique a occupé le devant de la scène. Il n’a certes pas obtenu la satisfaction de toutes ses revendications, mais néanmoins de nombreux succès, dont le plus éclatant est l’infléchissement du programme de développement nucléaire de certains grands États industriels. Au début des années quatre-vingt encore, son influence paraît s’étendre sans cesse, si l’on en juge par les emprunts qui, partout, sont faits à son langage. Les termes d’environnement, de qualité de la vie, de recyclage, de technologie douce, de pollution, de nuisance – voire de biosphère ou d’écosystème – saturent les propos des «élites», y compris les propos officiels: signe évident d’une prise de conscience, mais qui se traduit, autant que par une évolution des esprits, par la constitution d’une sorte de vulgate écologique, à laquelle tous les discours se réfèrent et qui commence à devenir matière d’enseignement, au même titre que la morale, l’hygiène, l’instruction civique et autres substituts du catéchisme. Que cette situation recèle des périls pour le mouvement écologique et pour la cause avec laquelle il s’identifie, c’est l’évidence même, et il nous faudra finalement nous demander si la crise écologique ne débouche pas sur une crise du mouvement écologique. Bornonsnous pour l’instant à constater les faits: le mouvement écologique a marqué des points et, simultanément, le discours écologique s’est répandu partout; grâce à cela, certains de ses thèmes ont changé sinon de nature, du moins de statut, et ont quitté la zone contestée des valeurs d’avant-garde pour venir rejoindre dans le panthéon des valeurs universelles la démocratie, la justice sociale et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Peut-être est-il donc temps d’esquisser un bilan de l’impact de la vague écologique sur la société occidentale, alors qu’elle alimente déjà largement l’idéologie officielle.Le terme de crise n’est donc pas lié ici à une vue prospective, mais il désigne le complet renversement de la conjoncture, non pas économique (encore que dans ce domaine aussi il y ait eu une «crise»), mais idéologique et culturelle, qui a caractérisé la décennie de 1970. Au cours de cette période, en effet, nous avons assisté à un bouleversement radical des idées gouvernant les pratiques sociales. On a rejeté tout ce qui, auparavant, était donné et vécu comme un idéal – l’industrialisation poussée à l’extrême, l’urbanisation massive, l’augmentation de toutes les consommations, la croissance dite «à la japonaise» – tandis que les notions et les pratiques scientifiques, esthétiques, morales ou philosophiques qui, à tort ou à raison, paraissaient solidaires de l’idéal d’expansion économique de cette période, étaient également abandonnées.Ainsi l’histoire idéologique de l’Occident peut-elle sembler, à l’image de son développement économique, faite de l’alternance de phases expansionnistes (scientistes, optimistes, progressistes, futuristes) et de phases de dépression (pessimistes, récessives, passéistes). Dans cette perspective, la crise écologique prend place dans une chaîne de «crises du progrès», dont chacune peut être analysée comme le retour du moment de la négation dans la dialectique du développement occidental.Parler de crise écologique, c’est donc admettre que le développement foudroyant des thèmes écologiques dans la pensée occidentale est d’abord un phénomène réactionnel, non seulement si on le confronte au passé récent, mais également si on adopte comme référence une conception beaucoup plus large de la modernité comme procès d’édification d’une civilisation industrielle et urbaine. Procès maintes fois contesté, de Jean-Jacques Rousseau à William Morris, de Thoreau à Jack London, de Tolstoï au mouvement beatnik, mais, malgré ces protestations éparses, qui domine la civilisation occidentale depuis au moins deux siècles.Aussi la crise écologique concernet-elle tous les aspects de ce procès. Elle est (comme l’a d’ailleurs été la phase optimiste qui l’a précédée) un phénomène idéologiquement totalisant et quasi totalitaire. Malgré le caractère extrêmement syncrétique du mouvement et de la pensée écologiques, cette crise se présente donc comme une mise en cause globale et cohérente de tous les aspects de la vie humaine contemporaine, telle du moins qu’elle a été conçue et imaginée dans la société occidentale – la seule société à avoir été très profondément marquée par la crise.Le mouvement et ses composantesLa diffusion des thèmes écologiques s’est d’abord opérée à partir d’un ensemble d’individus et de groupuscules généralement qualifié de mouvement écologique; mouvement aux frontières instables et imprécises, mais qui est malgré tout parvenu à se constituer dans tous les pays occidentaux à partir de quatre types d’action ou de réflexion que nous appellerons ses quatre composantes. Il ne faut pas entendre par là des organisations plus ou moins unifiées qui auraient elles-mêmes fusionné en un mouvement au sens institutionnel du terme, mais des démarches intellectuelles ou militantes dont chacune a son histoire, ses traditions, sa sensibilité et qu’une action commune a parfois regroupées, sans que le mouvement ainsi constitué accède jamais à une pleine unité. Les deux premières de ces composantes relèvent des résistances auxquelles se heurtent, depuis déjà le XIXe siècle, le développement industriel et ses conséquences; la troisième, du militantisme révolutionnaire d’une fraction de la jeunesse; la dernière enfin se situe au carrefour de la science et de l’idéologie.Depuis longtemps, le «monde moderne» (dans l’acception technique et industrielle du terme) voit s’opposer à lui ceux dont il vient troubler la quiétude, sans qu’ils soient en mesure de s’adapter au changement et moins encore d’en tirer profit: petits propriétaires, retraités, petits «nantis» de toute sorte menacés, dans le peu de confort et de tranquillité qu’ils croyaient avoir réussi à s’assurer, par la croissance d’une ville, le tracé d’une voie de communication, l’augmentation du trafic ou l’implantation d’une nouvelle industrie. Le développement économique forcené qui a suivi la Seconde Guerre mondiale ne pouvait manquer de multiplier ces réactions, tout particulièrement en France, où l’on est peu habitué à des bouleversements économiques d’une telle ampleur. Ainsi s’explique le développement des «associations de défense» d’expropriés ou de riverains contre telle ou telle implantation industrielle ou infrastructurelle ou contre ses retombées (bruit, fumée, pollutions diverses, troubles de jouissance). Bien entendu, quoi que puissent prétendre de telles associations, leur but est la défense non de la «nature» en général, mais de la manière dont cette nature se trouve contrôlée et prise en charge par un certain ordre social: on le voit bien lorsque l’une d’elles obtient qu’une autoroute passe au beau milieu d’une forêt plutôt qu’en bordure des propriétés de ses membres. Mais, incontestablement, ces associations de défense ont été parmi les premières à contester un certain type de décision, exclusivement fondé sur les calculs de rentabilité et ne tenant pas compte d’intérêts autres que purement économiques; elles ont ainsi contribué à l’apparition d’une conscience écologique.De plus, depuis le XIXe siècle, il existe des associations et des individus particulièrement sensibles à la nécessité de protéger la «nature» sous ses formes les plus évidentes (la forêt, les animaux et les plantes sauvages, les sols, l’air pur) ou les genres de vie traditionnels (artisanat, paysannerie, vie rurale en général). Sur cette base est né un militantisme marginal, souvent tenu pour anodin, qui, au contraire du précédent, n’est pas lié à la défense d’intérêts catégoriels, mais à l’idée que le maintien de certains équilibres naturels et humains est indispensable à la société moderne (idée que le mouvement écologique reprendra en l’exprimant de façon beaucoup plus radicale). Ce militantisme a pu s’accompagner de prises de position politiques ou philosophiques extrêmement diverses (socialisme rationalisateur ou rejet de toute planification centralisée, pessimisme catastrophique ou optimisme humaniste); il a certainement contribué, lui aussi, à l’apparition d’une sensibilité écologique.La troisième composante du mouvement écologique a apporté à celui-ci une virulence militante et un certain type d’efficacité qui, sans elle, lui auraient toujours fait défaut. Aux alentours de 1960, on voit émerger, dans l’ensemble du monde industriel, un militantisme juvénile et estudiantin qui se distingue de celui des générations précédentes par son caractère à la fois massif et incontrôlé. Dans divers pays, dont la France, la vague connaît une telle ampleur qu’elle paraît un moment pouvoir menacer le système politique et qu’elle ne peut être désamorcée qu’au prix de transformations sociales et institutionnelles plus ou moins profondes. Mais, depuis sa culmination en 1968, ce mouvement, qui n’a jamais pu se donner ni une organisation ni un programme cohérents, connaît un certain flottement, générateur d’un grand désarroi. Les virtualités militantes de la jeunesse subsistent, mais les causes politiques ou revendicatives traditionnelles n’arrivent à les mettre en œuvre qu’épisodiquement et partiellement. Sans qu’elle soit jamais parvenue à rassembler toute la jeunesse, la cause écologique apparaît comme l’une des seules qui soient capables aujourd’hui d’en mobiliser une fraction importante.Ce passage d’une partie de la jeunesse d’un militantisme politique ou quasi politique au militantisme écologique obéit à une certaine logique: l’idéologie du mouvement de mai 1968 était déjà en réaction contre le développement inconsidéré de la croissance dans le cadre de la «société de consommation». L’accent mis alors sur le caractère socialement et culturellement stérile d’une augmentation indéfinie de la consommation est donc simplement déplacé par le mouvement écologique, qui insiste sur les nuisances inhérentes à ce processus et finalement sur l’impossibilité d’une croissance exponentielle. Ainsi la cause écologique peut-elle apparaître à certains de ses militants comme un simple élargissement de la lutte révolutionnaire.Cet apport juvénile et militant donne, d’autre part, au mouvement écologique, du fait même qu’il se veut d’abord rejet d’un conformisme dominant, un caractère d’avant-garde qui le situe dans une certaine tradition et lui fait endosser, fût-ce à son corps défendant, un certain héritage. Plus qu’à l’avant-garde européenne, spécifiquement intellectuelle et artistique, il faut ici penser à la tradition américaine des beatniks et de leurs successeurs, qui ont assumé non seulement une marginalité idéologique, mais plus encore ce qu’on pourrait appeler une marginalité existentielle, à partir du moment surtout où la beat generation s’est lancée sur les routes à la recherche d’une nouvelle spiritualité dont l’un des éléments était la redécouverte d’un contact direct avec la nature. Certes, l’influence immédiate des beatniks ou des hippies sur le mouvement écologique est restée très limitée. Mais la filiation se situe moins sur le plan des doctrines que sur celui des attitudes et des comportements. Elle explique en partie que le mouvement écologique soit aujourd’hui tiraillé entre un certain goût de la marginalité et la perspective de se transformer en mouvement de masse ou en mouvement agissant directement sur les masses par une pédagogie appropriée, et qu’il présente certains aspects de plaque tournante entre le marxisme et la contre-culture.La quatrième composante du mouvement écologique est quantitativement la moins importante, mais c’est elle qui lui a fourni l’outillage intellectuel sans lequel il n’aurait pu ni se constituer, ni acquérir de crédibilité: c’est la discipline écologique elle-même, incarnée par un certain nombre d’hommes qui font aujourd’hui figure de prophètes ou de leaders intellectuels du mouvement (Barry Commoner, René Dumont, Max Nicholson...). L’écologie est née au XIXe siècle des efforts de quelques chercheurs pour étudier l’être vivant dans son milieu ou pour prendre en considération les interactions de l’être vivant et de son milieu naturel. Or, en un siècle, cette discipline, primitivement marginale, est passée de l’obscurité la plus totale au tout premier plan. Sur le plan théorique, l’écologie s’est profondément transformée; elle a progressivement découvert que les échanges avec le milieu étaient beaucoup plus nombreux et complexes qu’on ne l’imaginait et qu’ils mettaient en cause tous les aspects de la vie; de ce fait, elle a été amenée à se «désectoriser» et à s’ouvrir à d’autres disciplines, en particulier à la théorie des systèmes, approche à la fois totalisante et transdisciplinaire qui l’a fécondée en lui révélant l’universalité de sa propre problématique, reformulée en termes de relation d’un système avec son écosystème.Rien d’étonnant si, dans ce contexte, l’écologie manifeste des ambitions de plus en plus grandes. Sur le plan proprement scientifique, elle affirme parfois coiffer toutes les sciences de l’homme et de la nature et assigner sa place à chacune. Mais, en même temps, elle prétend régir la vie des sociétés et ravir le leadership en ce domaine à l’économie politique, triomphante à l’ère de la croissance et de la technocratie. Une telle ambition ne relève manifestement plus de la «science»; et, d’une façon générale, pas plus que dans le cas de l’économique, la caution scientifique de l’écologie ne doit nous abuser. S’il existe une science écologique, ce qu’on entend aujourd’hui par «écologie» la déborde de tous côtés; il s’agit en fait d’une conception du monde, qui est issue de la science occidentale et qui maintient divers liens avec elle, mais qui présente aussi des aspects spéculatifs, moraux, existentiels et politiques.Ainsi le mouvement écologique repose aussi bien sur la défense d’intérêts particuliers éparpillés que sur des conceptions très diverses de l’intérêt général; il peut se présenter comme mû par une réaction affective élémentaire ou comme constituant une théorie complexe – qui implique toute une réorganisation de l’univers scientifique – ou encore une retombée idéologique de cette réorganisation. Rien d’étonnant si, dans de telles conditions, l’unité intellectuelle et institutionnelle du mouvement semble aujourd’hui totalement utopique. Il est déjà remarquable que des groupes qui apparaissaient les uns aux autres comme «réactionnaires», «gauchistes», «naïfs» ou «intellectuels» aient pu nouer certaines relations et fréquemment mener des actions communes.Dans certaines circonstances, le mouvement écologique tire de sa diversité même une certaine efficacité, liée à la multiplicité des fronts sur lesquels il est capable de se manifester. Le manque de discipline et de centralisation ne fait pas obstacle à une action plus souple et plus diversifiée que n’est celle des grandes organisations traditionnelles. Les figures de proue du mouvement (qui ne sont pas forcément des «dirigeants») ne se sentent pas vraiment compromises par les débordements des militants et ne tentent pas de mettre ceux-ci au pas (ce dont elles n’auraient d’ailleurs pas les moyens). En l’absence d’un appareil bureaucratique classique, le mouvement écologique se trouve en bonne situation pour activer l’opinion publique et pour mener une guérilla, légale ou non, contre les décisions qu’il conteste. Ainsi, dans la zone industrielle de Fos-sur-Mer, au camp militaire du Larzac, au site choisi pour la centrale nucléaire de Plogoff, il mènera, appuyé sur une forte résistance locale, une campagne efficace et obtiendra finalement, à l’occasion de circonstances économiques ou politiques propices à ses revendications, l’arrêt des programmes gouvernementaux et l’annulation de décisions qui paraissaient irrévocables.Toutefois, le mouvement connaît de graves échecs dès qu’il tente de réunir des moyens plus importants ou de passer à une action de grande envergure, qui exigeraient un minimum d’unité et même de centralisation des décisions. L’expérience des élections municipales de 1977, où le mouvement écologique accomplit une certaine percée, montre qu’il est incapable de soutenir la pression consécutive à son relatif succès et qu’il tend à voler en éclats au premier obstacle politique concret, en l’occurrence celui des alliances et des désistements du second tour. La même année 1977, la désastreuse manifestation qui se déroule sur le site de la centrale nucléaire de Creys-Malville fait se heurter au service d’ordre 60 000 militants antinucléaires sans préparation ni directives. On compte un mort et plusieurs blessés graves. Cette catastrophe paraît témoigner de l’incapacité du mouvement à se donner la discipline et la stratégie nécessaires à une action d’une telle ampleur.En résumé, s’il a prouvé son efficacité dans la contestation, le mouvement écologique n’est pas parvenu, du moins en France, à se donner une crédibilité comme instance de direction ou, moins encore, de gouvernement, sans doute faute d’avoir pu accomplir la fusion de ses divers éléments.La conscience écologiqueAinsi, les diverses composantes du mouvement écologique sont bien antérieures à sa récente constitution, puisque plusieurs d’entre elles trouvent leur origine au XIXe siècle. Mais le fait caractéristique des années soixante-dix est la rencontre de ces composantes en un mouvement qui, s’il est resté hétérogène, n’en a pas moins eu une grande audience et une indiscutable efficacité; de plus, sous l’influence conjointe de ce mouvement et des conditions économiques et sociales favorables, est apparue une «conscience écologique». Toutefois, celle-ci déborde largement le mouvement qui a contribué à la faire naître et se manifeste un peu partout; c’est dire qu’elle est désormais capable soit de survivre au mouvement écologique, soit de se développer tout autrement que lui.Cette conscience écologique – expression actuelle, si l’on veut, du Zeitgeist – est, elle aussi, très composite. On peut reconnaître en elle certains éléments archaïques qui resurgissent à l’occasion de chaque grande crise, par exemple un certain millénarisme. L’angoisse traditionnelle de l’Occident devant son destin – parfois confondu avec celui de l’humanité – réapparaît cycliquement sous des formes diverses. Elle se nourrit aujourd’hui de quatre thèmes principaux: la peur de la surpopulation et de ses conséquences (invasion, famine); la peur de «manquer» par épuisement des matières premières; la peur atomique, dont l’objet était d’abord la guerre nucléaire, relayée depuis peu par la menace des retombées ou des déchets radioactifs des centrales nucléaires; enfin, depuis le milieu des années soixante-dix, la crise économique, qui joue comme un facteur de précipitation à l’égard des thèmes précédents, en leur donnant une espèce de plausibilité immédiate qui leur manquait auparavant. Certes, jusqu’à présent, ce millénarisme n’a guère donné lieu à de grandes explosions collectives de ferveur religieuse. Mais, à un certain niveau de latence, son existence est indubitable, comme en témoigne l’exploitation (parfois naïvement machiavélique) qui en est tentée par diverses fractions du mouvement écologique: Nous allons tous crever , Le Pouvoir empoisonneur , La Gueule ouverte , Le Jugement dernier , Nous allons tous à la famine , tels sont quelques-uns des titres prometteurs d’ouvrages ou de publications parmi les plus connus de la littérature écologique.Par d’autres aspects, la «conscience écologiste» apparaît comme typiquement «moderne», comme caractéristique de la seconde moitié du XXe siècle. Par certains traits, elle se situe dans le prolongement direct de la période précédente – à laquelle elle s’oppose pourtant violemment – et, à travers elle, de tout l’Occident moderne. Ainsi est-elle en premier lieu une conscience planétaire, en ce sens que, pour elle, le sort de chaque fraction de l’humanité se joue sur la planète entière. Cette idée qui, naguère, sous-tendait l’idéologie de la croissance et l’application, parfois irréfléchie, du modèle de développement occidental au Tiers Monde justifie maintenant la prise en charge par l’humanité entière de phénomènes tels que la surpopulation, l’épuisement des matières premières, la pollution des mers et celle de l’atmosphère. En deuxième lieu, la «conscience écologique», malgré ses aspects passéistes, est résolument prévisionnelle et tournée vers l’avenir de l’humanité, perspective héritée, elle aussi, de la période antérieure, dont le vocabulaire (progrès, développement, croissance) suffit à indiquer combien elle a eu tendance à extrapoler. Dans la phase actuelle, l’analyse prévisionnelle, la prospective, la futurologie et leurs sous-produits continuent d’être omniprésents; mais la sélection des éléments sur lesquels se fondent les prévisions n’obéit plus aux mêmes critères et, ici encore, au niveau du contenu, les signes s’inversent: ce que l’on considérait comme un avenir probable (encore chez Alvin Toffler) devient une impossible absurdité (chez Ivan Illich), et ce qui n’était pas même envisageable devient ce dont demain sera fait. Enfin, la «conscience écologique» n’est pas toujours antitechnicienne et elle demeure souvent assoiffée de sophistication technologique – lorsqu’on oppose au développement «sauvage» traditionnel le «recyclage» des matériaux ou les «technologies douces», faibles consommatrices d’énergie et peu polluantes (parfois de manière très utopique).Pour l’essentiel, toutefois, il est clair que la «conscience écologique» n’est réductible ni à ses aspects archaïques, ni à ses aspects modernes, mais qu’elle est le fruit d’un apport nouveau, celui-là même que tente d’exprimer le terme d’«écologique». On n’a, certes, pas attendu la seconde moitié du XXe siècle pour découvrir les dangers du déboisement, de l’insalubrité des grandes villes ou de la pollution chimique. Mais on regardait généralement ces maux comme des maladies infantiles du développement industriel, dont les remèdes étaient attendus de la croissance elle-même: l’augmentation de la production industrielle devait amener l’accroissement du niveau de vie, et celui-ci devait automatiquement provoquer l’amélioration de la qualité de la vie. C’est précisément sur ce point que le renversement des perspectives est le plus total: les phénomènes négatifs liés à la croissance (symbolisés par les grandes affaires de pollution: marées noires, boues rouges, déchets radioactifs) sont désormais conçus non comme de simples accidents de parcours, mais comme une conséquence inéluctable du développement industriel. La croissance n’est plus conçue comme un phénomène régulateur, ainsi qu’en témoigne l’impact du thème de la «croissance zéro». C’est précisément en ce sens que l’on peut dire que la crise écologique est une crise du progrès.C’est la «nature» qui prend désormais en charge ce qui était auparavant dévolu à la «croissance». On sait que le thème du «retour à la nature» revient cycliquement dans la culture occidentale et, depuis plusieurs siècles, y marque en permanence les idéaux et les comportements urbains. Bien avant la crise écologique, le retour à la nature était devenu une norme institutionnalisée, dont témoignaient les efforts entrepris par les citadins pour passer leur temps de loisir à la campagne, depuis les rêveries du promeneur solitaire jusqu’à la ruée mécanisée des week-ends. Au début des années soixante, toutefois, cette nature était encore envisagée comme un complément de l’homme moderne: champ d’expansion de la ville, poumon d’oxygène, lieu de détente et de délassement, vaste parc naturel où les citadins pouvaient venir s’ébattre dès qu’ils en avaient l’occasion. Bref, la nature était conçue comme une source de santé, de bien-être, de satisfactions diverses et profondes, mais elle demeurait un contrepoint de la vie urbaine, une valeur seconde, un luxe. La «conscience écologique» est, au contraire, celle d’une unité profonde de l’homme et de la nature. C’est là une idée d’apparence bénigne, mais elle implique en fait l’abandon d’un certain humanisme prométhéen, issu de la Renaissance, selon lequel l’homme, maître de la matière, conquérant des terres et des mers, vainqueur de la maladie, apparaît comme le partenaire triomphant de la nature. Ce thème, banal depuis le XIXe siècle, connaît de nouveaux développements au XXe avec la conquête de l’air, la maîtrise des formes modernes de l’énergie et les débuts de l’exploration spatiale. Mais la conscience de l’unité de l’homme et de la nature implique que l’homme, malgré toutes les techniques dont il est capable de s’armer, n’est pas «plus» que la nature, mais forcément «moins» qu’elle. Sous l’influence des écologistes, on redécouvre en particulier cette évidence que la nature en saura toujours plus long que ce qui pourra être dit sur elle, et donc qu’elle aura forcément le dernier mot si l’homme prétend la dominer ou entre en conflit avec elle. C’est donc bien, pour l’instant, la fin du thème prométhéen.Les conséquences de cette prise de conscience écologique peuvent être très importantes et avoir une très longue portée dans toutes sortes de domaines. Nous ne mentionnerons ici brièvement que le domaine politique. L’accent étant mis désormais sur les conséquences des décisions quant à l’environnement, le «technocrate» de l’ère de la croissance triomphante se heurte non plus seulement aux revendications traditionnelles des travailleurs (essentiellement salariales), mais aussi à tous ceux qui, travailleurs ou non, ont de cet environnement une expérience immédiate, vitale, quotidienne: l’ouvrier, certes, mais plus encore le consommateur, le paysan, le riverain, l’usager, celui qui devra subir retombées, nuisances et dangers éventuels. Ainsi la «conscience écologique» débouche-t-elle sur une idéologie (et éventuellement sur une pratique) de la consultation des intéressés et de la décentralisation des décisions.Modes et pratiques symboliquesAvant même de se traduire dans les décisions économiques et politiques, la «conscience écologique» se manifeste dans les pratiques symboliques et dans la mode. À ce niveau, il n’est pas question d’«agir» (c’est-à-dire d’entrer dans l’ère des calculs et des compromis), mais de signifier , ce qui, au contraire, ne peut se faire que dans l’excès. Le caractère de «retour du pendule» de la crise écologique n’est donc nulle part aussi évident que dans les pratiques vestimentaires, culinaires, décoratives et stylistiques emphatiquement promues par les modes de ces dernières années: tout un paysage culturel a disparu dans la trappe du démodé (l’«art moderne» – en particulier s’il est abstrait –, l’esthétique industrielle, le design, le style vestimentaire dit «court et structuré», la minijupe, etc.), tandis qu’il en apparaissait un autre dominé par l’authenticité naturelle, le primitif, le rustique, le campagnard et, en général, ce qu’Edgar Morin a appelé le néo-archaïque. Les valeurs urbaines, industrielles, économiques se sont effondrées, et la nature et ses prolongements culturels (parfois les plus inattendus) sont devenus valeurs d’avant-garde ou valeurs de mode.Il est commode (bien que cela ne puisse se faire sans arbitraire) de classer selon quelques thèmes les pratiques symboliques les plus caractéristiques de ces dernières années.– L’authenticité naturelle . On assiste en premier lieu à un rejet vigoureux de tout ce qui peut paraître dû à des manipulations technico-scientifiques, généralement baptisées «chimiques». Ainsi s’explique la quête d’aliments «naturels», dans la composition desquels n’entrent ni «hormones», ni «colorants», ni «pesticides», bref rien qui soit dû à l’intervention artificieuse et polluante du «monde moderne: eaux minérales, produits «non traités», aliments cuits «au feu de bois», etc. Dans le vêtement et les arts appliqués, les fibres et les matériaux synthétiques (nylon, plastiques, polystyrène, béton) perdent leur prestige au profit des fibres naturelles et des matériaux traditionnels (lin, soie, cuir, bois, pierre, métaux); le coton en particulier connaît une extraordinaire fortune. Le maquillage et la toilette sont en constante régression chez les jeunes. Les matériaux bruts s’imposent jusque dans la parure (colliers de bois, de graines, de coquillages). Ainsi, ce qui est recherché, c’est ce qui est censé venir directement de la plante, de l’animal ou du sol; ce qui est rejeté, c’est ce qui passe par la médiation du laboratoire ou de l’usine. Cette authenticité écologique, maintenant partout recherchée, ne se confond donc ni avec la pureté sexuelle de la tradition, ni avec la pureté bactériologique de nos grands-parents, ni encore moins avec la pureté chimique, désormais suspecte. C’est pourquoi elle est symbolisée non par le blanc virginal, maintenant soupçonné d’être le fruit de quelque manipulation chimique (comme celui du sucre raffiné), mais par le vert chlorophyllien que se disputent les affiches électorales.– La rusticité . La vie rurale, celle du paysan, de l’artisan de village et, par-dessus tout, celle du berger, méconnue, oubliée, qu’on croyait disparue ou réduite à l’état de survivance, redevient source de mode et de modernité. Ainsi dans le domaine de l’alimentation (pain de campagne, produits de la ferme, pommes de terre en robe des champs), du vêtement (sabots suédois, costumes folkloriques, sarraus, blouses paysannes) ou des arts appliqués (fermettes, poutres apparentes, rideaux bonne-femme, outillage rustique). Il n’est pas jusqu’au mobilier rustique, comble de l’arriération petite-bourgeoise à la grande époque du design, qui ne devienne emblème de modernité éclairée. Mais cette symbolique évidemment superficielle ne suffit pas à certains jeunes gens assoiffés d’absolu, et la mode rustique connaît ses développements extrémistes avec les efforts entrepris par de jeunes citadins pour se réinsérer dans une vie rurale ou semi-rurale comme artisans, travailleurs agricoles ou bergers. Ce développement d’une mythologie paysanne n’est certes pas sans antécédents dans la tradition occidentale; mais il tire une valeur de choc de ce que, passée la seconde révolution industrielle, les développements sans précédent de la vie urbaine, l’exode rural, la mécanisation et l’électrification des campagnes, une page paraissait tournée après laquelle tout retour en arrière semblait impossible. On se trompait: cinquante ans après le futurisme, revient le temps des bergeries.– Les cultures vernaculaires . Le «bon sauvage» passe depuis longtemps pour être détenteur d’une sagesse méconnue ou perdue par l’Occident technicien; par ailleurs, les grandes civilisations asiatiques ont été souvent considérées comme étant d’un niveau de raffinement et de spiritualité plus élevé que le nôtre. Mais, récemment, ce sont pêle-mêle tous les aspects, raffinés ou rustiques, des civilisations extra-européennes, et en particulier les aspects techniques, qui deviennent source de modernité. L’Indien, l’Africain, l’Asiatique n’est plus seulement un professeur de philosophie, de morale, d’art ou de religion: c’est désormais le maître d’une technologie, d’un genre de vie, d’une adaptation à l’environnement capables de répondre aux besoins actuels d’un Occident désemparé devant ses propres excès. Cette redécouverte du Tiers Monde s’accompagne également de modes vestimentaires (boubous, saris, parkas, costumes Mao) ou culinaires. Les techniques asiatiques du corps (judo, yoga, acupuncture) se diffusent massivement. Les technologies primitives font l’objet de manuels et d’enseignements pratiques. Aux États-Unis, la vie quotidienne des Indiens est scrutée méticuleusement. En Europe, le Vietnam et surtout la Chine font l’objet d’un intérêt passionné. Mais, bien entendu, le mythe asiatique n’est plus celui du raffinement mandarinal, des petits pieds et de la porcelaine; c’est celui d’une «technologie douce», d’une économie de subsistance qui, égalitaire et frugale, respectueuse des équilibres naturels et de l’environnement, refuse le modèle occidental d’une croissance sauvage et destructrice et qui pourtant, au Vietnam, se montre capable de tenir en échec la barbarie militaro-industrielle de l’Occident.– Le rétro . La nostalgie passéiste de ce gigantesque mouvement de retour en arrière s’étend à toutes les pratiques passées de la société industrielle, du moment qu’elles présentent un aspect suranné. À vrai dire, ce retour en arrière présente certains aspects ambigus, souvent masqués par un humour dont on ne sait s’il est ironique ou attendri: les pratiques industrielles désuètes peuvent être mises en avant soit parce qu’elles permettent de tourner en dérision l’ensemble du développement technologique occidental, dont elles présentent une première et naïve version, soit au contraire parce qu’elles sont réputées moins polluantes, plus faibles consommatrices d’énergie et qu’en général elles paraissent symboliques d’une époque moins radicalement urbanisée que la nôtre. Quoi qu’il en soit, le genre de vie de nos arrière-grands-parents ou de nos grands-parents fait depuis peu l’objet d’une attention nouvelle: les robes de grand-mère, les jupons de dentelle, les vieux vêtements de toute sorte sont retirés des greniers familiaux; les machines à coudre à pédale, les gramophones, les vieilles autos sont réparés et entretenus avec amour; les maîtresses de maison se remettent à faire des confitures; les promeneurs du dimanche redécouvrent le cheval ou la bicyclette. Et la mode rétro réhabilite pêle-mêle les années vingt, les années trente, les années cinquante, et jusqu’au bon vieux temps de la Seconde Guerre mondiale.De la crise écologique à la crise de l’écologieAinsi notre époque est-elle marquée, au niveau le plus extérieur comme au plus profond, par l’action du mouvement écologique et par la prise de conscience qui, pour une part, en résulte.Cette vague écologique annonce-t-elle une prochaine conversion du monde occidental, un changement rapide et complet des habitudes, des modes de pensée, des pratiques? Dans une certaine mesure, ces changements sont déjà accomplis. Il n’est pas douteux, par exemple, que la lutte contre la pollution ait remporté certains succès, que les pouvoirs publics soient plus attentifs aux retombées des implantations nouvelles, que certains progrès aient été entrepris dans la voie de la consultation des populations intéressées et même, en une moindre mesure, dans celle de la décentralisation des décisions. Le mouvement écologique lui-même a remporté des succès non négligeables dans divers pays en obtenant la mise en place de dispositifs antipollution, l’abandon de projets spectaculaires, la limitation ou l’arrêt de certains programmes nucléaires; il a rendu inconcevables les pratiques qui étaient courantes il y a quelques années encore. Les organisations de défense de la nature se voient partout reconnaître un certain droit d’expression, voire une certaine représentativité. Bref, il est clair qu’après la crise écologique plus rien ne sera comme avant.Pourtant, la conjoncture actuelle présente certains aspects inquiétants, soit pour la cause que défend le mouvement écologique, soit surtout pour le mouvement lui-même.Le premier est évidemment la persistance massive d’habitudes antérieures. Les traumatismes économiques et politiques provoqués par la crise économique – c’est-à-dire, somme toute, par un arrêt effectif de la croissance – montrent qu’il est plus facile de jongler avec l’idée de la «croissance zéro» que d’en accepter les conséquences réelles. C’est particulièrement évident s’il s’agit du Tiers Monde, où, pourtant, les efforts en vue de la croissance économique ne cessent de provoquer de véritables catastrophes écologiques. Mais le mouvement écologique n’est pas parvenu à y exercer une influence réelle ni à contribuer efficacement à enrayer l’épuisement des sols, la désertification, la croissance anarchique des villes, la pollution massive, ni les autres «effets pervers» des tentatives de développement industriel ou agricole.Le deuxième aspect inquiétant est la perte de substance du discours écologique. Les succès du mouvement, le souci de se mettre à la page et de faire preuve de modernité, les débordements de la mode ont provoqué le développement d’un écologisme verbal qu’illustrent des colloques sur l’«environnement», des ministères de la «qualité de la vie», des références officielles ou non aux grands thèmes de l’écologie. Tous les partis, tous les groupes d’intérêt ou de pression, des plus considérables aux plus modestes, prétendent désormais prendre appui sur une thématique écologique. Et, bien entendu, les responsables de nuisances ou de pollutions ne sont pas en reste; naïveté ou hypocrisie, on voit les atteintes à l’environnement les plus évidentes et les plus catastrophiques chercher une caution dans l’idéologie à la mode: les pratiquants du «trial», de l’«enduro», de la «moto verte» ou, en langage clair, de la motocyclette à travers bois affirment que cette pratique ne fait que refléter leur sens aigu de la nature; Électricité de France justifie son programme naguère dit «tout nucléaire» par le respect de l’environnement; les partis politiques n’ont que l’«environnement» à la bouche, alors qu’ils luttent pour une «relance de la consommation» ou agissent pour le développement des infrastructures autoroutières. Quant aux journaux, ils se font massivement l’écho de cette thématique, ce qui provoque par contrecoup une crise de la presse écologique, dont la raison d’être devient moins évidente. Bref, nous ne sommes pas loin d’une situation où le mouvement écologique aura perdu toute apparence de spécificité, et donc où ses propos risqueront fort d’être dénués de tout impact.Un troisième motif d’inquiétude, qui concerne plus précisément le mouvement écologique, tient à l’effort des organisations traditionnelles soit pour l’associer à leurs décisions et ainsi le compromettre, soit pour le mettre sur la touche en le disqualifiant du fait de son «extrémisme». Ce n’est, là encore, qu’une conséquence du succès de la campagne écologique: à partir du moment où une grande entreprise, un monopole d’État, un parti politique, une organisation quelconque ont mis un zeste d’écologie dans leur programme et, si possible, l’ont fait cautionner par tel ou tel groupement d’amis de la nature, ils considèrent inévitablement qu’ils ont fait à l’écologie la place qui convenait et ils s’efforcent alors de marginaliser ceux qui veulent aller plus loin en opposant, souvent avec succès, leur propre pratique, raisonnable et équilibrée, aux revendications extrémistes et monomaniaques de ceux-ci. La prépondérance actuelle de la lutte antinucléaire – la seule vraiment mobilisatrice aujourd’hui – favorise cette politique de marginalisation, dans la mesure où elle appauvrit la problématique du mouvement écologique en la réduisant à un thème sur lequel tout semble avoir été dit.De fait, le mouvement écologique se trouve placé devant une alternative difficile, dont les discussions en son sein se font clairement l’écho.Le mouvement peut évidemment rester fidèle à lui-même, tenter de maintenir contre vents et marées ses organisations, sa presse, ses traditions et continuer de faire pression de l’extérieur sur les instances, officielles ou autres, de prise de décision. Cela revient pour lui à persister dans la voie marginale et groupusculaire qui a toujours été la sienne. Mais c’est ne pas tenir compte de l’apparition d’un nouveau contexte politique et économique (dominé par l’«austérité», voire par le rationnement) qui entraînera de nouvelles préoccupations, s’accompagnera de nouvelles modes intellectuelles, et dans lequel la marginalité organisationnelle du mouvement, loin de demeurer un facteur d’efficacité, risque de se traduire par une marginalisation politique et culturelle.Le mouvement écologique peut, au contraire, se lancer dans la politique active, présenter des candidats aux élections et donc tenter de concurrencer ouvertement les partis politiques sur le terrain qui est le leur. Mais, outre qu’un échec paraît difficilement évitable, ne serait-ce qu’en raison des divisions du mouvement, on peut se demander dans quelle mesure un succès relatif (c’est-à-dire, comme en Suède en 1976, le succès d’un parti traditionnel plus ou moins rallié à la cause écologique et, en particulier, hostile aux centrales nucléaires) changerait profondément les données du problème. Un «parti écologique» au pouvoir, à supposer qu’une telle vue ait un sens, ne serait-il pas obligé de tenir compte des mentalités, des habitudes, des revendications sociales, au même titre que les partis existants?Le mouvement écologique, s’il a incontestablement ébranlé la conscience occidentale, s’il a dans une certaine mesure convaincu du bien-fondé de ses thèses, ne peut plus désormais compter sur la vague de curiosité, de nouveauté, d’avant-gardisme, de mode qui l’a jusqu’à présent porté. Le succès même de l’entreprise fait que, si la politique est entrée dans l’ère écologique, l’écologie elle-même entre inéluctablement dans l’ère politique, celle des réalisations mais aussi celle des compromis.
Encyclopédie Universelle. 2012.